C'est pour aujourd'hui!... ( partie 6 )

Publié le par mcr-ecriturekaleidoscope

Il fait encore sombre et froid. Le grondement du fleuve couvre les bruits de la ville au loin. Sur une grève boueuse, au milieu d'un amas de branches, de détritus hétéroclites composés de bouteilles en plastique et autres résidus urbains, deux formes sont enchevêtrées. Inertes, elles semblent s'être échouées là, au détour du courant. Le dhô khyï, dans un dernier effort, a dû la hisser ou plutôt la traîner hors de l'eau car il garde un morceau d'étoffe déchiré dans la gueule. La lutte a été d'une grande violence: tous les deux sont marbrés de marne, de plaies et le visage d'Agnès est exangue. Cependant un léger souffle soulève ses épaules. Le chien est lové contre elle, abandonné, les yeux clos. Ses poils collés lui donnent un aspect pitoyable et révèlent de nombreuses cicatrices, plus ou moins récentes. Les pieds d'Agnès sont parfois agités par une vague furieuse qui vient mourir sur cette plage improvisée. Mais elle reste hors d'atteinte du fleuve déchaîné.

Combien de temps a pu s'écouler ainsi? A l'aube Agnès s'est dressé sur un coude, a repoussé les cheveux poisseux qui collaient à son front et ruisselaient en masse sur son visage. Le seul fait de lever le bras lui a été une douleur. Elle s'est péniblement redressée pour jeter un rapide coup d'oeil autour d'elle. Le Dho-khyi était là, chaud et immobile. Elle a fait glisser sa main sur la lourde tête, en murmurant Aï, Aï, mon chien il faut te réveiller, il faut partir... Aï, il faut te lever! A aucun moment elle n'a douté de sa force, de son obéïssance. Le nom lui est venu et il lui a semblé qu'il devait en être ainsi. Aï était là et c'était naturel. S'aidant des genoux, elle s'est accroupie, scrutant la demi-obscurité qui les masquait encore. Rien ne pouvait se résoudre ainsi. Il fallait rester vigilant. Le dho-khyi ouvrit les yeux et observa gravement sa maîtresse. Lorsqu'elle se releva, il en fit autant étirant ses muscles en un arc étrange du lourd museau à l'extrémité de la queue. Agnès esquissa un sourire qui la fit grimacer. Sûr que son visage était meurtri! Elle avait vu les cicatrices sur le chien et cela n'avait que renforcé son désir de les mettre à l'abri au plus tôt. Il fallait disparaître, se faire oublier... Comme dans ce roman qu'elle relisait souvent, comme on se berce d'un songe... et puis ressurgir, empanachés de force sereine pour éloigner la violence: plus besoin alors de se terrer!

Une chose était désormais évidente: Agnès et Aï avaient un destin commun. Ils s'étaient trouvés, à moins qu'ils ne se fussent retrouvés...

Publié dans nouvelles

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